Selon la plupart des grands théoriciens de la dramaturgie (d’Aristote à McKee), une bonne histoire suit un développement en trois actes : exposition, développement, dénouement.
L’exposition présente le narrateur, ainsi que le protagoniste dans le cas où il s’agit de deux personnages différents, leur psychologie, leurs valeurs et leurs principes moraux (ce qu’on appelle l’axiologie). Elle expose également les relations qu’ils entretiennent avec les personnages secondaires, avec le monde dans lequel ils évoluent et leur rapport avec la structure sociale. Une fois ce « background » clairement établi, il se produit généralement un événement perturbateur qui les met en quelque sorte au pied du mur et les force à prendre une décision, à se charger d’une quête, à formuler un objectif. Les ayatollahs de la structure dramatique insistent sur le fait que cet objectif doit être clairement défini, et qu’il doit demeurer le même jusqu’à la fin du récit.
Le développement est la partie la moins théorisée, puisqu’à l’instar d’une partie d’échecs le nombre des possibilités offertes par l’exposition atteint des proportions qui interdisent toute modélisation. On s’accorde cependant sur certains principes de bon sens : le protagoniste doit rencontrer des obstacles sur le chemin qui le mène vers son but, et ces obstacles doivent être de plus en plus difficiles à surmonter. Il s’agit simplement de maintenir la tension jusqu’au bout, ainsi qu’une réelle incertitude quant aux chances de succès du personnage. Chacun de ces obstacles créent autant de sous-objectifs à atteindre, et ouvrent donc à l’intérieur de la structure générale des schémas structurels mineurs qui reproduisent exactement la construction en trois actes : présentation de l’obstacle, développement des moyens mis en Åuvre pour le surmonter, franchissement de l’obstacle. On parle à ce sujet d’organisation fractale du récit (certains affirment même que l’on peut encore appliquer la structure ternaire à l’intérieur de ces phases, et à des échelles de plus en plus réduites, jusqu’à la simple ligne de dialogue).
Le dénouement démarre après que le protagoniste a atteint son objectif principal. Tous les moyens mis en Åuvre dans ce but aboutissent, y compris ceux choisis pour la résolution des sous-objectifs, dans une mesure que le lecteur/spectateur est capable de déterminer clairement. Toutes les questions qui ont été posées trouvent, ou ont trouvé, leur réponse : il ne reste aucune zone d’ombre. La situation retrouve un point d’équilibre, mais le plus important est de montrer que le personnage a évolué, psychologiquement, socialement ou moralement.
Bien sûr, même si ces principes offrent un cadre de création assez vaste, puisqu’ils n’indiquent pas une direction ni un contenu, mais un mode de fonctionnement, ils restent largement contestables, et pour chaque exemple d’histoire qui les applique on peut trouver dix contre-exemples d’une qualité pourtant comparable. Il s’agit simplement de relevés plus ou moins statistiques sur la structure des histoires qui, depuis le bouillonnement mythologique de l’antiquité jusqu’aux succès de l’ingénierie hollywoodienne, se sont le plus largement diffusées. Mais on est en droit de se poser une question : est-ce que ces histoires ont plu parce que leur structure entre en écho avec la structure psychologique même des lecteurs/spectateurs, ou bien est-ce que cette structure psychologique s’est formée selon les principes qu’on a toujours fait suivre à nos constructions fictionnelles ? C’est le problème de l’Åuf et de la poule, qu’il est d’autant plus intéressant de soulever, à une échelle personnelle, lorsque l’on considère que la plupart des Åuvres qui nous ont marqués étaient précisément celles qui sortaient strictement des cadres structurels classiques.
Il existe une abondante littérature sur le sujet, qui va du guide d’écriture scénaristique jusqu’aux essais de pure sémiologie. Pour ma part, un seul principe me semble réellement fiable, qui a trait à la manière dont on invente une histoire : l’idée qu’on veut transmettre, ce qui nous tient à cÅur et qui nous est le plus personnel, constitue le fin mot de l’histoire. Et on part de là , à rebours, jusqu’au début du récit, en inventant toutes les manières d’y parvenir, afin de rendre cette idée strictement personnelle accessible aux autres. Ce qui sépare le début de la fin, en quelque sorte, c’est un long travail de traduction depuis une langue étrangère.